Inscrit dans la tradition védutiste du XVIIIe siècle, le motif classique du pont ne pouvait que séduire des peintres impressionnistes attentifs aux effets atmosphériques et aux reflets. Avec son format allongé qui autorise une variété de points de vue, il offre aux peintres de multiples solutions plastiques et incarne aussi bien la stabilité que le dynamisme. Ainsi le Pont d’Argenteuil de Monet, représenté de face, oppose-t-il sa frontalité au Pont de Saint-Mammès de Sisley, dont la diagonale introduit un point de fuite.
Au-delà de ces qualités picturales, le pont, fruit d’une ingénierie audacieuse, est un emblème de progrès. Marquant le passage d’une rive à l’autre, il peut être considéré comme la métaphore d’une transition entre tradition et modernité. Pour un mouvement qui entend promouvoir une nouvelle conception de la peinture, où le travail en extérieur conditionne la vision, le pont constitue un motif de choix, pris entre l’air et l’eau.
Dans leur approche picturale comme dans leurs sujets, les impressionnistes se positionnent en peintres de la vie moderne : à Argenteuil, Villeneuve-la-Garenne ou Charing Cross c’est le pont métallique, véritable symbole de la révolution industrielle, qui retient leur attention. Dans les années 1870, le pont est enfin un motif patriotique : après les désastres de la guerre franco-prussienne (1870-1871), sa reconstruction symbolise le redressement de la France.