Du Havre à Giverny, de l’origine à l’œuvre ultime, la peinture de Claude Monet est marquée, plus que toute autre, par une fascination pour l’eau et ses reflets. Cette dernière partie de l’exposition explore comment, au fil de son œuvre, ce motif a occupé une place grandissante, jusqu’à remettre en question le modèle classique du paysage et la position de la ligne d’horizon, élément fondamental de la peinture occidentale depuis la Renaissance.
Depuis la découverte des lois de la perspective, la ligne d’horizon structure traditionnellement les représentations en séparant le paysage en deux parties. Si leur importance respective peut varier selon le point de vue, le modèle le plus répandu est l’équilibre d’une position médiane. C’est le parti de Monet dans ses vues d’Etretat, réalisées en 1883. Reprenant un motif peint avant lui par Delacroix et Courbet, il place l’horizon au milieu exact de sa composition.
A Venise en 1908, il retient l’image de palais flottant au-dessus du Grand canal comme autant d’apparitions. La ligne d’horizon n’est plus un repère. L’eau, les reflets, leur chatoiement féerique ou leur profondeur mystérieuse occupent plus de place que les façades, souvent tronquées. Dans Le Palais Contarini, l’horizon est placé aux deux tiers de la composition. Le photographe Steichen reprend à l’identique cette disposition en 1913, une année après l’exposition des vues de Venise chez Paul Durand-Ruel.
Désormais trop âgé pour voyager, Claude Monet consacre les dernières années de sa vie à un étonnant face à face avec le bassin au nymphéas qu’il a fait creuser à Giverny, explorant comme personne ne l’avait fait avant lui les possibilités offertes par le miroir d’eau. L’élévation progressive de la ligne d’horizon, jusqu’à sa complète disparition, accompagne un relèvement du motif dans le plan du tableau, et un basculement du regard : Monet semble s’abandonner à l’attrait du reflet, qui occupe désormais toute la composition. Une photographie prise par l’artiste en 1915 révèle sa silhouette, penchée sur son motif préféré, tel le Narcisse de la fable.