Bien que le débat sur la paternité de l’art gothique ait été définitivement tranché dès le milieu du XIXe siècle en faveur de la France, la Cathédrale reste à la veille de la première guerre mondiale un puissant symbole national de part et d’autre du Rhin. La flèche de la cathédrale de Strasbourg, dressée au cœur d’une Alsace perdue, incarne côté français une volonté de reconquête, tandis que la reconstruction de la façade de la cathédrale de Metz exalte en Lorraine la gloire de l’architecture allemande.
Dans ce contexte, le bombardement de la cathédrale de Reims par les troupes allemandes va causer un immense traumatisme et raviver les tensions patriotiques entre les intellectuels des deux camps. Le 19 septembre 1914, les obus qui s’abattent sur la cathédrale provoquent un incendie d’une violence inouïe. Le plomb en fusion de la toiture s’écoule par les bouches des gargouilles, vision proprement infernale qui frappe les imaginations.
L’image de l’édifice mutilé, comme un grand blessé de guerre, est abondamment diffusée par la propagande française, tandis que dans l’autre camp, artistes et scientifiques lancent un « Appel au monde de la culture » pour minimiser la responsabilité allemande. De nombreux historiens français et allemands sont impliqués dans cette surenchère d’affiches, libelles, cartes postales, caricatures, expositions : l’histoire de l’art est devenue une arme de combat.
Malgré l’indignation internationale, les ravages se poursuivent pendant toute la guerre dans la zone de combat qui tragiquement se superpose avec l’aire de l’art gothique. Les cathédrales d’Amiens, Arras, Verdun, Soissons sont durement touchées. A travers leur martyre, ces édifices acquièrent une nouvelle dimension : autrefois symbole de l’alliance entre le trône et l’autel, la Cathédrale voit communier dans une même affliction la République, la Religion et les Arts.